Il y a quelques années, j’ai subi deux ans de harcèlement moral au travail de la part de mon manager. C’est un épisode douloureux de ma vie mais qui fut charnière dans ma construction personnelle. Aussi surprenant que cela puisse paraître, je suis reconnaissante de cette leçon offerte et tout ce que cette douleur a pu engendrer de positif dans ma vie.
Rouvrir une blessure oubliée
Une voix, une silhouette masculine et l’espace d’un court instant, je crois le reconnaître et c’est tout un enfer que je pensais enfoui qui se rappelle à moi.
Dans la salle d’attente, je crois reconnaître cet homme qui vient d’entrer et une vague de panique monte en moi. Que dois-je faire ? L’ignorer ? Partir ? J’inspire profondément. Je ferme les yeux, j’expire puis je les ouvre à nouveau. Ce n’était pas lui. Je reprends mon souffle et m’en veux pour l’impulsivité épidermique de ma réaction. C’était ridicule. Tout ceci est si loin. C’est du passé. Je balaye toutes ces ondes négatives d’un revers de main et je reprends mon quotidien.
Plusieurs dizaines de jours plus tard, ce soir, je profite de ma soirée TV en solo. Malgré le nouveau confinement, les enfants sont au lit et mon mari bricole en bas aussi j’en profite pour regarder Little Women de Greta Gerwig, que j’avais évidemment manqué lors de sa sortie en 2019.
Je lance le film et au bout d’un quart d’heure je l’arrête. Le mal-être est trop fort. L’acteur qui joue Frederich Baer est son portrait craché. Le même regard, le même profil et le même charme que lui. C’est qu’il était beau et c’était sa force. Voir cet acteur jouer finit d’ouvrir la brèche ouverte quelques jours plus tôt.
Je décide donc d’éteindre le film et d’allumer mon laptop pour laisser sortir ce trop plein d’émotions. Écrire, c’est ce que je sais faire de mieux. Il y a 2 ans, je lui avais écrit une lettre pour lui dire que je le pardonnais et que je lui souhaitais de trouver la paix. Je n’ai jamais fini cette lettre. Je l’ai brûlée.
Il était une fois, mon pire cauchemar
C’était il y a 5 ans. Pendant 2 ans, j’ai vécu une lente descente aux enfers où mon « dream job » était devenu mon pire cauchemar. Je ne croyais plus en moi, plus en personne, j’étais persuadée que j’étais la plus incapable et inutile personne de la terre. Je faisais vivre un enfer à mon mari et à Mr A, alors tout petit. Je faisais le vide autour de moi, que ce soit auprès de mes amis ou de ma famille et j’aurais pu aller encore plus loin s’il n’avait pas dérapé pour de bon.
C’est ce qui m’a sauvé finalement. C’est cette exagération dans ses agissements qui m’a fait me réveiller et m’a poussée à chercher de l’aide et à me protéger.
Tout a débuté par un chantage émotionnel
Lorsque j’ai démarré mon nouveau job, tout était idyllique.
C’était le job que je voulais, dans l’équipe que je voulais. Mon chef avait un charisme impressionnant et était brillant. Créatif, doué mais torturé. Je savais qu’il avait un passif un peu obscur mais je pensais que c’était derrière lui.
La prise d’un nouveau job demande toujours du temps aussi je savais que j’avais quelques mois à galérer. Mais les choses ne s’amélioraient pas au fil des semaines. Oh, ce n’était jamais verbalement agressif, c’était très subtil.
Lors des points individuels, les remarques jouaient sur ma corde sensible : l’affect et ma culpabilité. Je suis quelqu’un d’entière et transparente donc j’acceptais toutes les remarques pour m’améliorer et je n’hésitais pas à me confier complètement à lui sur mes difficultés et mes doutes. Et lui jouait ce même jeu en utilisant la carte de la confiance et de la confidence sur ses propres difficultés. Je lui ai donné toutes les armes pour m’atteindre. Et il s’y est engouffré.
Petit à petit je me suis mise à douter de moi et de mon image. A ne plus croire en moi. Ses remarques sur la perception que les autres avaient de moi m’ont tellement ébranlée que j’ai entamé un processus de relooking complet. C’était une formidable aventure que je ne regrette pas et qui m’a apporté beaucoup. C’est d’ailleurs l’une des choses pour lesquelles je l’ai remercié dans ma lettre inachevée.
La descente aux enfers
Mais changer d’apparence et de garde-robe n’a pas suffi. J’étais retombée en dépression.
J’ai donc cherché un psychiatre pour m’accompagner et me mettre sous antidépresseurs. C’est aussi une véritable chance que j’ai eu de pouvoir rencontre ce psychiatre et le travail que j’ai fait avec lui m’a été essentiel pour me libérer et me construire telle que je suis aujourd’hui. Mais à l’époque ça ne m’apparaissait pas comme une chance.
Fidèle à ma naïve transparence, j’avais parlé de cette démarche médicale à mon chef et il s’en est largement servi contre moi. Il louait mon courage à faire ce travail, à en parler. Il se confiait même sur ses difficultés personnelles (il avait fait un burn-out). Et en même temps, il me faisait remarquer que mes capacités intellectuelles étaient diminuées, que mon comportement était erratique en pointant du doigt les médicaments. Je reconnais sans problème que j’ai un caractère bien trempé et que je ne me laisse pas faire si quelque chose ne me parait ni juste, ni justifié. Et nous ne tombions pas souvent d’accord sur nos dossiers communs, ce qui avait pour don de l’irriter fortement.
A cette période, nous envisagions un second bébé, Mr A étant suffisamment grand pour nous lancer dans une nouvelle maternité. Les propos de mon chef m’avaient tellement ébranlé que j’avais abandonné ce projet, persuadée que je devais suivre ses conseils et sauver mon job avant tout.
Et le piège s'est refermé
Le paradoxe de ma situation est que tout le monde était au courant que ça n’allait pas. Tout le monde savait à quel point il était un manager ambigu.
En creusant auprès de ses anciennes équipes, j’ai découvert plus tard qu’il avait mis en dépression (voire en arrêt) 3 personnes avant moi. Mais ses partisans mettaient en avant ses qualités de coach généreux et incroyable. Son talent et son charme étaient aussi de grands atouts. Pourtant tout le monde voyait à quel point j’étais malheureuse et comment j’étais « éteinte » lorsqu’il était présent dans la même pièce que moi.
Je me sentais seule et piégée, même si je croyais encore beaucoup en la boîte et au soutien de mes anciens collègues et managers.
C’est d’ailleurs à ce moment-là que j’ai découvert ce qu’est un pervers narcissique et qu’il en était un.
Et puis, ce fut l’erreur de trop
Ma chance a été l’arrivée d’une réorganisation interne et la force de mon réseau. Je savais ce qui allait être annoncé avant même d’avoir mon entretien officiel. Aussi, lorsque mon chef m’a annoncé que je perdais mon poste et que mon avenir était en danger au sein de la boîte, je savais que c’était faux. Je savais qu’il y avait un problème et que j’étais effectivement en danger. Alors, j’ai eu la chance de pouvoir être soutenue, coachée, devrais-je dire, par des collègues, élus et RH. On m’a demandé de chercher une nouvelle équipe pour me reclasser, mon job étant effectivement supprimé.
Et c’est là qu’il a dévoilé son jeu et a perdu tous ses moyens. Sa belle assurance s’est effondrée et il a accumulé les erreurs. Il est devenu verbalement agressif. Si, comme dans ce texte, le mot « harcèlement moral » n’a jamais été prononcé et les mesures officielles n’ont pas été prises, des discussions off ont eu lieu et la direction a été alertée. Et quand les choses sont devenues hors de contrôle, j’ai été libérée officiellement de son emprise. J’ai été arrêtée plusieurs semaines et transférée dans une ancienne équipe.
Et ensuite ?
Ensuite, j’ai fait ce qu’on m’a dit, je suis passée à autre chose. J’étais devenue persona non grata dans mon ancienne équipe et celles dont je pensais être proches m’ont totalement ignorées.
Je me suis reconstruite. J’ai continué ma thérapie. J’ai retrouvé un cadre bienveillant où j’ai vu que mes compétences intellectuelles étaient toujours là et que j’étais toujours capable professionnellement parlant. J’ai fait mon second bébé, Little H.
Mais tout avait changé. J’avais perdu mon innocence. Je ne croyais plus en la justice hiérarchique. Je ne croyais plus en l’intégrité de la boîte. J’avais désacralisé le cadre qui était ma vie pendant une décennie. Et je commençais à m’interroger si c’était vraiment ça, la vie que je voulais et les valeurs que je voulais défendre…
Et lui ?
Il avait été vaguement sanctionné mais rien d’officiel en tout cas. Au contraire, il avait obtenu une plus grosse équipe à manager, des petits jeunes doux comme des agneaux. Il ne m’a plus jamais adressé la parole, sauf le jour où il a dû faire mon évaluation de fin d’année en compagnie de son supérieur, puisque nous ne pouvions plus être seuls dans une même salle.
Je l’évitais copieusement et j’avoue avoir beaucoup ruminé les premiers mois de mon départ. Je voulais me venger. Je voulais qu’il paie pour ce qu’il m’avait fait ainsi qu’à toutes les autres. Mais j’avais peur de me lancer dans une procédure judiciaire. Et il était trop tard pour monter un dossier, surtout sans preuves écrites.
Alors j’ai continué à travailler sur moi et sur mes valeurs. Et progressivement, je l’ai oublié. J’ai oublié tous ces événements.
Mais j’y ai repensé par deux fois.
- Lorsque j’ai appris son départ de la boîte pour prendre des fonctions prestigieuses. Je fais de mon mieux pour ne plus y penser lorsque je croise ses campagnes d’affichages dans la rue.
- Et lorsqu’une amie a souffert elle-même de harcèlement moral de la part de son manager pour l’aider et la conseiller au mieux.
Et depuis, ma vie ayant évolué et changé complètement, je n’y pensais plus du tout.
Jusqu’à ces derniers jours.
En conclusion,
Je n’ai jamais fini la lettre que je lui avais écrite et c’est sûrement un tort car cette étape m’a certainement empêchée de faire complètement mon deuil. C’est pourquoi j’ai écrit ce soir.
Ma conclusion sera donc la suivante.
Personne ne doit souffrir à son travail. Ce n’est qu’un travail.
Si votre manager est malade comme l’était le mien, vous devez vous défendre. Vous avez la loi avec vous et vous devez la saisir.
Les faits étant derrière moi, je remercierais non pas mon harceleur comme j’avais commencé de le faire, mais l’Univers.
Merci de m’avoir permis de travailler sur ma santé mentale grâce à ma thérapie et de m’avoir ainsi permise de faire le tri nécessaire dans ma vie et dans mon entourage.
Merci d’avoir levé le voile sur la valeur de mon travail et de mon entreprise. Sans cela, je n’aurais jamais pris le tournant professionnel qui a été le mien.
Merci de m’avoir appris à croire en moi et à définir mes valeurs pour les vivre au quotidien.
Merci de m’avoir enseigné une grande leçon de vie et de me donner l’opportunité de partager et d’aider ceux qui en ont besoin autour de moi.
Merci de m’avoir offert des aventures extraordinaires (relooking, réorientation) et de développer des liens humains forts et de valeurs.
Merci de m’avoir donné un partenaire aussi formidable que mon mari.
Merci.